Pas d'erreur possible

L'erreur est humaine, dit-on. Mais commet-on des erreurs quand il s'agit de nos relations? On en a l'impression. Après l'acte ou la parole de trop viennent parfois la prise de conscience et la honte ou la culpabilité. "Mais comment ai-je pu ?" "J'aurais du être plus conscient!" "Si j'avais su les conséquences, jamais je n'aurais fait ça ou dit ces paroles" "Je ne peux pas revenir en arrière" "J'ai commis l'erreur fatale" "J'ai fait le faux pas". Mais l'erreur n'est-elle pas une interprétation abusive quand aucune erreur n'est possible?

dialogue entre elle et lui

« Je suis désolé, j'ai fait une erreur »

« Pourquoi dis-tu ça ? »

« Je n’aurais jamais dû te dire ça devant ton frère, c’est une erreur »

« Ah oui ? »

« Mais, je ne savais pas, je ne me rendais pas compte quand je l’ai dit »

« Voilà, alors pourquoi dis tu que tu as fait une erreur ? »

« Euh… quand-même, c’est une grosse boulette, je m’en veux beaucoup… »

« Tu ne devrais pas… »

« Allez, je vois bien que ça t’a blessée ! »

« Oui, ça m’a blessée »

« Désolé… »

« Ne le sois pas »

« Comment veux-tu ! Arrête en plus de me dire de ne pas ressentir ce que je ressens… »

« Ça, c’est juste. Désolée »

« Hé hé, on dirait bien qu’on est tous les deux désolés »

« Ha ha, oui… »

« Bon, mais… »

« Écoute, je ne crois pas que tu aies fait une erreur, c’est ça que je voulais dire. Tu as dit ça devant mon frère parce que… eh bien, parce tu devais me le dire devant mon frère. Voilà. Tu n’avais pas le choix, tu comprends ? »

« Non, je ne comprends pas »

« Tu crois vraiment que tu décides de tout ce que tu penses et dis ? »

« … »

« Tu sais, je vais même te remercier »

« Hein ? »

« Oui. Merci d’avoir dit cela devant mon frère »

« Mais… pourquoi ? »

« Tu m’as permis de rattraper dix années de silence »

« … »

« Après que tu as sorti ça devant mon frère, lui et moi avons enfin pu exprimer ce qui devait l’être depuis longtemps. Ça m’a révélé bien des choses sur moi »

 

Prédateur ou danseur?

Dans nos relations, peut-on faire des erreurs ? Non. Tout ce qui est dit et fait a du sens, trouve son sens ou révèle son sens.

Croire que l’on peut faire une erreur dans notre relation à l’autre, c’est avoir une attitude de chasseur, de prédateur, c’est vouloir contrôler, c’est dérouler un scénario, un jeu qu'on a déterminé à l’avance, dans un cadre borné dont ni l’autre ni soi même ne peut sortir.

Croire que l’on peut faire une erreur dans notre relation, c’est avoir la prétention que l'on pourrait très bien arriver à ne pas en faire. C'est avoir la prétention de se connaître" comme sa poche" dans tous ses recoins, de connaître l’autre comme soi-même, et de tenir toutes les cartes du jeu en main pour amener la relation là où on veut très exactement. Et penser que si on n’y arrive pas, c’est dès lors qu’on n’est pas à la hauteur ou qu'on est déficient comme une machine mal réglée. "Si je fais des erreurs, il est temps que je passe à l’entretien ou que je ma fasse upgrader par une petite session de développement personnel à bon compte."

Croire que l’on peut faire des erreurs dans la relation, c’est aussi continuer à vivre dans la peur, sur le qui-vive. A l'affût, comme le bon chasseur. C’est aussi perpétuer le jeu de victime et bourreau avec l'autre, c’est continuer à nourrir notre dette de culpabilité tout en tentant indéfiniment de la liquider.

L’erreur est humaine, dit-on. Oui, certes: l’erreur de calcul, l’erreur d’appréciation d’une distance ou d’une durée, l’oubli d’un geste métier, ces erreurs-là sont bien objectives.

Mais commettre l’erreur dans la relation est impossible car la relation est vivante et l'humain ne peut la contenir dans les limites étroites de son mental.

La relation est ce mystère intangible qui unit deux êtres, elle est un champ d’expression déployé dans lequel ces deux êtres dansent et s’abandonnent aux jeux magnifiques et terribles qui les dépassent mais qui les révèlent à eux-mêmes et à l’autre. Il n'y a pas d'autre chemin et celui-ci passe par nos impressions d'erreur.

C'est une sacrée bonne nouvelle, il nous faut danser ces étreintes et ces écarts et continuer la danse tant après les faux pas que les jolies passes car tous nous propulsent vers nous-mêmes. 

Dansez!

 

Peter Vanhaesendonck