
Des enfants heureux sont des enfants qui éprouvent du plaisir et un bien-être dans ce qu'ils font. Mais tout peut-il apporter du plaisir? Et grandir n'est-ce pas aussi savoir différer le plaisir pour atteindre des buts? Cet article explique un modèle de la psychologie de la motivation, la théorie de l'autodétermination de Deci et Ryan, qui nous aide à comprendre comment favoriser et entretenir la motivation de l'enfant.
Par Peter Vanhaesendonck
Comprendre la motivation de nos enfants
« Mais comment faire pour que Chloé range enfin sa chambre sans que j’ai sans arrêt à le lui demander? »
« Je ne comprends pas pourquoi tondre la pelouse parait tellement une corvée pour Cédric. Si je ne lui demande pas, il ne le fait pas et en plus il fait tout pour avoir vite fini »
« C’est fatiguant de toujours devoir demander la même chose à mes enfants. Bon sang, ils ne font jamais rien d’eux-mêmes ! »
« Pfff, si tu pouvais mettre autant d'enthousiasme à nous aider dans le ménage qu’à t’amuser devant ton écran! »
Dans toutes ces situations, il est question de ce qui motive votre enfant à faire quelque chose ou à éviter de le faire. Il va de soi que votre enfant -tout comme vous- va spontanément se tourner vers des tâches agréables et qui le mettent en valeur et se détourner de ce qui lui parait ennuyeux ou désagréable ou encore le mettre en difficulté. Mais dans la vie, on peut être amené à choisir de faire des choses peu agréables parce qu’elles nous permettent d’avoir des moments et des activités qui nous donnent du plaisir. Et c’est ça grandir et devenir responsable et autonome. Nous voilà bien, avec la question de la motivation, au cœur de l’éducation.
Alors, faisons un petit détour du côté de la psychologie de la motivation.
Motivation, autonomie, compétence et interaction sociale
Dans les années ’80, deux chercheurs en psychologie sociale, Richard Ryan et Edward Deci développent la théorie de d’autodétermination qui met en évidence trois besoins fondamentaux à la base de la motivation humaine : le besoin d’autonomie, le besoin de se sentir compétent et le besoin d’interaction sociale. Dans les situations où ces trois besoins trouvent satisfaction, l’individu ressent un significatif bien-être. On parle aujourd'hui de sentiment d’être dans le flux, le flow.
Ainsi, mon besoin d’autonomie sera satisfait si j’ai le sentiment d’être à l’origine du choix de mes actes. Si quand je fais quelque chose, quelqu’un (ou moi-même) me demandait « pourquoi tu fais ça ? », ma réponse commencerait très probablement par « Parce que JE pense que… » ou « Parce que JE suis quelqu’un qui… », c’est à dire que je m’octroierais délibérément la responsabilité de ce que je suis en train de faire. ».

Prenons un exemple. Si je pose la question à Noémie, 7 ans : « Pourquoi tu fais du violon ? » et qu’elle me répond « Parce que Papa voulait que je sois pianiste mais Maman trouvait qu’un piano, c’est trop cher et ça prendrait trop de place », je peux en déduire que son besoin d’autonomie n’est pas pleinement comblé en démarrant la pratique de la musique puisqu’elle attribue le choix à ses parents. Sa motivation pour le violon n'est pas très forte. Par contre, si elle m’avait répondu « Je trouve ça beau, le violon, je voulais devenir violoniste et voilà Papa m’a offert un violon d’occasion et Maman m’a inscrite à l’académie», je peux être sûr que son besoin d’autonomie est tout-à-fait comblé : sa pratique du violon, c’est son initiative, c’est l’expression de ce qu’il y a au plus profond d’elle. Dans ce cas, sa motivation est beaucoup plus forte car sa source est en elle-même.
A côté de son besoin d’autonomie, le besoin de sentiment de compétence de l’enfant est également important. Noémie suit le cours de violon depuis 3 mois. Je lui demande : «Et alors, comment ça se passe, ton cours, tu progresses bien ? » et elle me répond un peu dépitée: « C’est dur avec l’archet, j’arrive pas à bien faire sonner la corde. Papa dit qu’on dirait une porte qui grince » et si je creuse un peu « Aah, oui, au début, ce n’est pas évident… mais au cours, ça va ? » et qu’elle me répond : « La prof, elle m’arrête après deux mesures parce que je positionne mal mon poignet et mes doigts. Pfff ! ». Bon, où en est Noémie avec sa motivation ? Je la relance : « Ah, bon, oui c’est pas cool, hum... Mais tu aimes toujours ? » et elle me répond après un petit temps de silence gêné : « Ch’sais pas… ». Là, c’est sûr, sa motivation est en net déclin. Elle n'a pas le sentiment d'être compétente.
Ryan et Deci nomme aussi le besoin de relation sociale, et plus particulièrement d'avoir des interactions sociales. Bien que celui intervienne moins que le besoin d’autonomie et le besoin de se sentir compétent, en influençant ces deux besoins, il influence la motivation. Pour Noémie, il est important de se sentir appartenir à la communauté des élèves violonistes et d’être en relation avec eux. Il est également important de pouvoir nourrir et être nourrie par des interactions avec sa professeure et ses parents.
Motivation intrinsèque et motivations extrinsèques
L’intérêt de la théorie de l’autodétermination est de montrer que la motivation n’est pas un interrupteur qui ne permet que deux positions : « on-off » mais qu’elle peut être décrite et différenciée sur une sorte de continuum, d'échelle que l'on peut gravir.
Tout d’abord, Ryan et Deci vont mettre en évidence trois positions majeures de la motivation : la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque et l’amotivation.

La motivation intrinsèque ou le plaisir dans l'action
La motivation intrinsèque est la motivation qui est la plus autodéterminée: réaliser la tâche est l’expression même de l’énergie créatrice de l’individu, il en retire un plaisir immédiat et instantané. Dans ces moments d’action, la notion du temps semble se transformer et on peut dire que l’individu est proche de vivre l’instant présent dès lors qu’il vit ces moments avec une remarquable intensité. Noémie peut vivre cette motivation par exemple lorsqu’elle est seule dans sa chambre avec son violon et sa partition et qu’elle prend plaisir à bouger ses doigts et obtenir une variation de notes. Mais elle peut aussi vivre ses instants en écoutant une camarade jouer ou encore en apprenant avec sa prof comment passer son archet d’une corde à l’autre. Sa prof peut-elle percevoir qu’à ce moment précis, sa petite élève est proche d’un état de conscience où elle se fond et est indistinctement, la corde, les doigts, l’archet et les notes ?
La motivation extrinsèque ou les buts motivants
La motivation extrinsèque est par contre la motivation à entamer ou maintenir une tâche pour obtenir une satisfaction différée ou éviter une insatisfaction. La satisfaction n’est donc pas liée à l’exécution de la tâche mais plutôt à ce que cette tâche va permettre d’obtenir ou d’éviter. Autrement dit : « ce n’est pas que ça me plait de faire ça, mais faut bien que je le fasse, si je veux obtenir telle ou telle chose ou éviter que telle ou telle chose ne m’arrive ». Si vous vous interrogez sur votre motivation à faire ce que vous faites dans une journée, vous vous rendez vite compte que vous êtes plus souvent poussé dans des actions par une motivation extrinsèque et plus rarement par une motivation intrinsèque. Il suffit pour cela d’évaluer le plaisir et la gratification que vous avez directement en faisant cette tâche. Sans plaisir et gratification immédiate, vous êtes indubitablement dans une motivation extrinsèque. Il n’empêche que vous êtes motivé et d’ailleurs, si vous manquez de courage à l’action, il vous suffit de vous rappeler pourquoi vous faites cet effort : faire le ménage pour avoir une maison propre et s’y sentir bien ou pour y accueillir des amis– remplir votre déclaration d’impôts correctement et à temps pour éviter la sanction ou les ennuis. Se rappeler pourquoi on le fait ou ce qu'on veut obtenir ou éviter nous permet de faire l’effort de remplir la tâche.
Maman connait la musique

Tournons-nous vers Noémie et son apprentissage du violon. On est samedi et dans une demi-heure commence son cours de solfège. Sa maman l’appelle : « Noémie prépare-toi, on part dans 5 minutes, tu as tes affaires ? ». Noémie arrive dans le salon et Maman voit bien que sa petite fille est contrariée : « Toi tu n’as pas envie d’y aller, c’est ça ? ». « Pfff, c’est pas gai, le solfège, et puis j’aime pas chanter ». Alors Maman un peu énervée : « Bon c’est comme ça, ma puce, tu as voulu faire du violon, tu dois suivre le cours de solfège ». « Pfff, c’est pas juste, pourquoi est-ce que je peux pas apprendre la musique rien qu’avec le cours de violon ? ». Maman a décidé de ne pas s’énerver : « Allez, en route ! ». Noémie est confrontée à sa motivation : choix personnel et choix imposé, plaisir et déplaisir, désir et réalité. Sa motivation est bien extrinsèque : elle va au cours de solfège parce qu’elle doit, la pression est bien extérieure : on lui impose. Et on sent bien que le risque est réel que sa motivation extrinsèque fasse tache d’huile sur sa belle motivation intrinsèque à jouer du violon et qu’elle perde le plaisir du jeu et de l’apprentissage.
Grimper l'échelle des motivations intrinsèques
Cependant, une motivation extrinsèque, même si elle n’est pas franchement autorégulée comme la motivation intrinsèque, n’est pas pour autant une motivation au rabais. C’est même la motivation à partir de laquelle tout responsable de l’éducation des enfants va travailler pour favoriser leur autonomie et leur choix responsable.
C’est pourquoi Ryan et Deci proposent de distinguer une gradation dans la régulation de la motivation extrinsèque qui permet dès lors de définir 3 types de motivation extrinsèque.
La régulation externe ou le gendarme et le distributeur à bonbons
La motivation à régulation externe est la motivation la moins autodéterminée. La source qui nous pousse à agir est clairement extérieure, c’est une autorité, un pouvoir, un règlement ou une loi auxquels nous sommes soumis. La régulation extérieure veut dire que le contrôle extérieur est nécessaire pour que nous agissions mais que sitôt que ce contrôle n’est plus exercé, nous arrêtons d’agir. Cela vous est par exemple déjà arrivé de décélérer à l’approche d’un radar et de graduellement accélérer après vous en être éloigné. Votre motivation à respecter la limite de vitesse était à ce moment purement régulée externe. Pour un enfant cela veut dire que la présence du parent est absolument nécessaire pour obtenir le comportement désiré. C’est une des raisons pour lesquelles les parents qui n’utilisent que leur autorité de pouvoir (« je suis ton père, tu m’obéis ») n’est pas suffisante pour éduquer l’enfant à se responsabiliser. Les pédagogues démontrent même que l’utilisation systématique de l’autorité de pouvoir empêcherait la responsabilisation. Dans le cas de Noémie, sa motivation à suivre le cours de solfège est clairement extrinsèque et la régulation est externe. En effet, ce qu’elle ressent de plus fort est le caractère incontournable et contraignant d’une obligation imposée à laquelle elle ne peut se soustraire.
La régulation introjectée ou le moteur de la culpabilité
Le niveau au-dessus est la motivation à régulation introjectée qui démontre que l’individu commence à intérioriser la source extérieure qui motive son comportement. Cela veut dire qu’en l’absence de cette source de contrôle externe, lorsqu’il agit ou pense en contradiction avec la règle émise par cette source, il commence à ressentir un malaise. Ce malaise est très lié à l’impression de fauter : il s’agit de sentiments très teintés de culpabilité. Un exemple : Nathan, 4 ans, lorgne sur la boite à biscuits, dans la cuisine. Il sait qu’il ne peut pas prendre de biscuits sans le demander. Maman travaille dans la pièce de bureau et Papa n’est pas à la maison. Il évalue très vite la situation et commence à ouvrir la boite. Il voit en images dans sa tête ses parents courroucés et ressent tout de suite de la culpabilité. Finalement, il décide d’aller demander à sa maman s’il peut prendre un biscuit. Sa motivation à ne pas transgresser la règle est ici introjectée. Dans l’éducation des enfants, c’est une étape importante dans l’apprentissage des règles, qu’il s’agisse du partage des tâches ou bien d’interdiction telle que le mensonge ou le vol. Il est important d’aider l’enfant à passer sur l’échelle graduée de la motivation extrinsèque, d’une motivation régulée externe à une motivation régulée introjectée, pour enfin atteindre le stade où l’enfant aura fait sienne la règle.
La régulation identifiée ou la liberté responsable
Ce troisième stade est la motivation à régulation identifiée. C’est le stade le plus autodéterminé de la motivation extrinsèque. Identifiée, parce que pour l’individu qui est dans cette motivation, il est clair qu’il fait le choix de ce comportement et qu’il est la source même des actions qu’il entreprend. Si on le questionne sur son comportement, il défend son choix en termes de valeur personnelle et de conviction. Ce n’est plus la culpabilité qui le fait agir (comme dans le stade précédent) mais au contraire une identification à une valeur partagée par les siens.
Reprenons notre histoire avec Noémie. Noémie est maintenant en deuxième année de solfège. Il y a un an, rappelez-vous, elle aurait bien voulu se passer de cours de solfège. Aujourd’hui la fillette montre un comportement bien différent. C’est elle qui dévale l’escalier une demi-heure avant le cours, sa malette bouclée, et qui presse sa mère de partir à l’heure. En faisant le choix de ne pas rater de cours et d’arriver à l’heure, Noémie montre une motivation extrinsèque à régulation identifiée pour son cours de solfège. Notez bien que ce n’est pas de la motivation intrinsèque mais bien extrinsèque. En effet, Noémie n’aime pas particulièrement son cours de solfège mais elle veut réussir le cycle d’étude de la musique car elle voit tous les bénéfices qu’elle peut en tirer pour sa pratique du violon. Elle a un but et le cours de solfège est un moyen d’y arriver. L’assiduité et la ponctualité deviennent des valeurs pour Noémie et on peut être sûr que ces valeurs vont s’appliquer à de nombreuses autres situations de la vie de Noémie.
Des conséquences intéressantes pour accompagner l'enfant
Première réflexion: la motivation intrinsèque n’est pas ce qui a l’air de diriger le plus souvent notre comportement. Elle est pourtant bien nécessaire car si nous sommes privés de toute satisfaction de notre motivation intrinsèque, nous courrons le risque de sombrer dans un état dépressif ou apathique. Et qu’en est-il de nos enfants ? La motivation intrinsèque est-elle plus présente chez eux ? Comment puis-je stimuler la motivation intrinsèque de mes enfants ? Puis-je le faire aussi pour des tâches pour l'exécution desquelles ils n’éprouvent apparemment pas de plaisir ?
La deuxième réflexion que suscite ce modèle de la motivation est qu’éduquer l’enfant de manière attentive et souple consisterait à l’accompagner le long de la voie de l’autodétermination en passant les différents degrés de la motivation extrinsèque. Et je dis bien accompagner car, comme un jardinier accompagne la croissance d’un arbuste et peut la favoriser, nous avons à accompagner un processus qui de toute façon est à l’œuvre chez l'enfant en dehors de nos interventions. Comment peut-on les accompagner concrètement? Que peut-on faire ? A quel moment ?
Ces deux réflexions font l’objet d’un prochain article "Accompagner la motivation de mon enfant". Vous y trouverez des pistes pour aider votre enfant à maintenir ou retrouver sa motivation et s’autonomiser progressivement en intégrant des valeurs qui lui sont propres.
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